Atteintes involontaires à l'intégrité corporelle

Publié le par Juriste-médical

Tout professionnel de santé, qu'il exerce dans le cadre libéral ou public, peut voir engager sa responsabilité pénale devant les juridictions répressives à raison d'une faute commise dans l'exercice de son activité médicale. Cette responsabilité, qui l'expose à une sanction, suppose qu'une infraction soit commise. Il ne peut être question, en matière pénale, de responsabilité médicale sans faute, voire de présomption de responsabilité. 

 

Le délit retenu est, dans la majeure partie des cas, celui d'homicide ou de blessures involontaires.

 

Les atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité corporelle se caractérisent par l'absence d'élément intentionnel.

Réprimant l’homicide et les blessures causés par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, les atteintes involontaires sont régies par les dispositions des articles 121-3221-6,222-19 à 222-21R 610-2R. 622-1625-2 et 625-3 du nouveau Code pénal de 1994, modifié par la loi du 10 juillet 2000 et le décret du 20 septembre 2001. La responsabilité pénale médicale suppose l’existence d’une faute, d’un dommage corporel et d’un lien de causalité entre ces deux éléments.

 

I) La faute

Contrairement au droit civil, le droit pénal, en raison du principe de légalité, ne connaît pas d’incrimination générale de la faute. La faute pénale est définie avec une plus grande précision. Il existe trois types de faute en matière pénale : la faute simple, la faute caractérisée et la faute résultant du manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Il convient de préciser qu’une faute peut être commise à n’importe quel stade de l’exercice de l’activité médicale : au moment de l’établissement du diagnostic, au moment du choix d’un traitement ou de sa mise en œuvre, ou encore lors de la surveillance post-opératoire du malade.

 

S’agissant de la faute simple, les dispositions pénales prévoient différents types de comportement : la maladresse, l’imprudence, l’inattention et la négligence. La maladresse du médecin consiste, dans l’exercice de son activité, à méconnaître les règles de l’art, sans en être forcément conscient (le mauvais usage de forceps, Crim., 16 juin 1951 ; le gynécologue ou le chirurgien qui met en œuvre des techniques qu’il ne maîtrise pas suffisamment, Crim., 24 oct. 2001, deux arrêts). Les fautes d’imprudence, d’inattention et de négligence sont le fait d’agir sciemment mal soit en pensant qu’il n’y aura pas de conséquences dommageables, soit en acceptant le risque (administrer une surconcentration d’adrénaline - trente fois la norme - Crim., 7 juin 1988 ; ordonner un dosage excessif de médicaments ou le renouvellement trop laxiste de tranquillisants, Crim., 19 sept. 2000).
Pour ce qui est des fautes d’inattention ou de négligence, il convient de préciser qu'il s’agit de fautes d'omission, constituant une abstention. Ainsi, il y a inattention lorsque, par exemple, le médecin oublie une pince hémostatique ou une compresse dans la cavité abdominale après l’intervention (Crim., 22 oct. 1979). Il y a négligence lorsque, par exemple, le chirurgien ne se fait pas assister par un anesthésiste qualifié (Crim., 27 janv. 1970) ou lorsque le chirurgien et l’anesthésiste quittent la clinique seulement quelques instants après l’opération en laissant le malade sans surveillance (Ass. plén., 30 mai 1986). L’erreur de diagnostic ou sa tardiveté ne sont constitutives d’une faute pénale que si elles procèdent d’une négligence caractérisée (C.A. Nancy, 6 mai 1999).

 

Autres exemples de faute simple:

a) La maladresse et l'inattention

Les procédures fondées sur une maladresse ou une inattention du médecin sont rares devant la Chambre criminelle. Il semble que ce contentieux soit plutôt déféré aux juridictions civiles, la faute commise ne justifiant peut-être pas une poursuite pénale aux yeux des victimes.

A ainsi été sanctionnée la maladresse du chirurgien, qui, au cours d'une opération de la cataracte, provoque, par des gestes malencontreux, le passage du noyau cristallinien sous l'iris, entraînant, par le biais d'une infection, la perte de l'oeil (Crim., 27 novembre 1990, Dr pénal 1991, n° 103).

Constitue une inattention punissable la faute du chirurgien qui oublie des compresses dans l'abdomen de la patiente opérée d'une colectomie. Cette faute avait été qualifiée de maladresse ou négligence par les juges d'appel (Crim., 12 février 1997, Dupaty, 96-82.398, inédit au bulletin).

La maladresse du gynécologue-obtétricien dans l'utilisation des forceps, ayant provoquée la mort du nouveau-né, a également été poursuivie et sanctionnée par le juge pénal (Crim., 15 juin 1999, Lemoine, pourvoi U98-85.325, inédit au bulletin).

b) L'imprudence

Parmi les arrêts récents, on peut citer comme exemple la faute du médecin anesthésiste qui s'absente de la salle d'opération à un moment critique de l'intervention chirurgicale, pour effectuer dans une salle voisine une autre anesthésie. Le patient a présenté des troubles cardiaques ayant entraîné son décès après que l'infirmière lui eut administré une nouvelle dose d'anesthésique en raison de son réveil précoce. L'imprudence se cumule ici avec la violation, par l'anesthésiste, du décret régissant la pratique de son art, codifié sous les articles D. 712-40 du Code de la santé publique (Crim., 26 novembre 1997, Sansous, Resp civ et ass. 1998, n° 250).

Commet également une imprudence punissable le chirurgien qui, pour dresser un bilan de stérilité secondaire, pratique un examen endoscopique sur une patiente à risque, entrée dans le coma pendant l'intervention. L'examen, déconseillé dans le cas de la victime, a été effectué sans nécessité et sans avoir épuisé les autres moyens de recherche (Crim., 3 décembre 1997, Chabert, Resp civ et ass 1998, n° 251).

A encore été sanctionnée l'imprudence du médecin gynécologue qui retarde de manière excessive la décision de pratiquer une césarienne malgré les tentatives infructueuses d'accouchement par ventouse puis forceps et les anomalies du rythme cardiaque du fœus. Il s'en est suivi pour l'enfant des lésions cérébrales sévères consécutives à une asphyxie périnatale (Crim., 3 décembre 1997, Mignon, Resp civ et ass 1998, n° 254).

c) La négligence

C'est le type de faute le plus répandu, résultant dans la plupart des cas d'un défaut de précautions nécessaires avant, pendant ou après une intervention. La négligence est souvent associée à l'imprudence du médecin.

Ont ainsi été sanctionnés le chirurgien et l'anesthésiste qui se sont abstenus d'ordonner le transfert d'une patiente dans un CHU alors que cette solution s'imposait en raison de l'insuffisance manifeste des possibilités techniques de l'hôpital local et de la divergence de leurs diagnostics. La victime, gravement blessée dans un accident de la route, avait subi trois interventions de chirurgie viscérale. Elle est décédée le lendemain de son admission à l'hôpital (Crim., 19 février 1997, Bull. n° 67 ; Dalloz 1998, p. 236, note B.Legros ; JCP 1997, 22889 note JY Chevallier ; Crim., 17 décembre 1997, resp civ et ass 1998, n° 252).

Commet une négligence fautive le gynécologue accoucheur qui s'est rendu coupable de carence dans le suivi post-opératoire de sa patiente. Celle-ci avait donné naissance par césarienne à des jumeaux après une grossesse à risque. Hospitalisée depuis plusieurs mois et soumise à un traitement anti-coagulant, elle aurait dû faire l'objet d'une surveillance vigilante. Elle est décédée le surlendemain de l'accouchement des suites d'une hémorragie intra-abdominale (Crim., 26 février 1997, Solques, Dr pénal 1997, 109).

A également été condamné pénalement pour négligence dans le suivi post-opératoire d'une enfant de 4 ans, opérée des amygdales, le médecin anesthésiste qui s'est abstenu de toute prescription sur le volume, la nature et le débit de la perfusion intraveineuse pratiquée en salle de réveil et destinée à maintenir un accès veineux en cas d'urgence. L'enfant est entrée dans le coma puis décédée à la suite d'un oedème cérébral causé par une intoxication à l'eau administrée, par la perfusion de sérum glucosé, en trop grande quantité (Crim., 28 mai 97, Beyrath, pourvoi n° 96-83.511, inédit au bulletin). 

 

Le manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement constitue également une faute pénale. Plus précisément, il s’agit d’une nouvelle circonstance aggravante introduite par le Code pénal de 1994 ayant pour conséquence une sanction plus sévère que celle prévue pour la faute simple. Il est cependant nécessaire de préciser la source et la nature de l’obligation particulière dont la violation est constitutive de faute (Crim., 18 juin 2002). Il suffit, dans ce cas, que la victime démontre le seul manquement à une telle obligation de sécurité. La faute est, dès lors, présumée de manière absolue.
 
Enfin, la faute caractérisée, issue de la loi du 10 juillet 2000, ne concerne que les personnes physiques. Il s’agit d’une faute ayant permis la réalisation d’un dommage corporel en exposant autrui à un risque qu’on ne pouvait ignorer (Crim., 1er avril 2003).  La faute caractérisée est une faute non intentionnelle et, pour cette raison, moins grave que le manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. En même temps, il s’agit d’une faute plus grave qu’une faute simple dans la mesure où il est crée un risque d’une particulière gravité pour autrui. Il convient de préciser que la faute caractérisée a nécessairement pour conséquence un dommage corporel – blessures ou décès. Pour cette raison, il ne faut pas la confondre avec le délit de risques causés à autrui prévu à l’article 223-1 du Code pénal, qui consiste « seulement » à exposer autrui à un danger de mort ou de blessure sans que pour autant un dommage corporel ne survienne.

 

II) Le préjudice

 

Les atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité corporelle sont sanctionnées par le droit pénal si elles ont eu pour conséquence un dommage corporel pour la victime, à savoir le décès ou les blessures. Cela suppose préalablement l’existence d’une personne née  et vivante. Ainsi, il n’y a pas d’homicide ni de blessures involontaires lorsqu’il s’agit d’un fœtus (Crim., 30 juin 1999 ; Ass. plén., 29 juin 2001 ; Crim., 25 juin 2002). La loi pénale étant d’interprétation stricte, il n’est pas possible d’étendre l’application de ses dispositions à l’enfant avant sa naissance. En revanche, il y a lieu d’appliquer les règles relatives aux atteintes involontaires à l’enfant qui vient de naître, même s’il décède très peu de temps après l’accouchement (Crim., 2 déc. 2003 –  le cas échéant, l’enfant n’a vécu qu’une heure).

 

III) Le lien de causalité

 

L’élément le plus difficile à établir, s’agissant de la responsabilité pénale du médecin, est le lien de causalité entre la faute relevée et le résultat obtenu. Le lien de causalité doit être certain ; une simple probabilité ne suffit pas. Ce lien doit être aussi direct s’agissant de la faute simple  (Crim., 15 janv. 19589 janv. 199220 nov. 199629 oct. 200213 nov. 20025 oct. 2004). En revanche, pour ce qui est des fautes plus graves, un lien de causalité indirect suffit. Autrement dit, plus le comportement du médecin (ou d’un autre professionnel de santé) est éloigné du dommage corporel, moins il sera en mesure d’engager la responsabilité de celui-ci. C’est seulement lorsque ce comportement, bien qu’éloigné, est d’une particulière gravité que la responsabilité pénale du médecin sera engagée (Crim., 26 juin 2001).  
Il convient de préciser que depuis la loi du 10 juillet 2000, une décision de relaxe fondée sur l’absence de lien de causalité certain entre la faute et le dommage corporel n’empêche pas le juge, pénal ou  civil, de statuer sur  la demande des dommages-intérêts de la victime ou de ses héritiers. 
De même, tout comme avant cette loi, le juge pourra statuer sur la perte de chance de survie ou de guérison indépendamment de la responsabilité pénale. En effet,  la perte de chance étant un préjudice distinct du préjudice final (décès ou invalidité), le juge civil, tout comme dans le passé, n’est pas lié par une décision préexistante du juge pénal et peut éventuellement allouer des dommages et intérêts à la victime sur ce fondement (Civ. 1, 24 mars 1981).

 

IV) Sanctions

 

Les sanctions encourues dépendent de la gravité du préjudice. S’agissant des personnes physiques, elles sont prévues aux articles R. 622-1R. 625-2 et 3221-6,222-19, 222-20 du Code pénal. En cas d’homicide involontaire, les sanctions encourues sont une peine d’emprisonnement de trois ans et 45.000 euros d’amende (art. 221-6, al.1 C. pén.). Lorsque l’homicide involontaire résulte d’un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et  75.000 euros d’amende (article 221-6, al.2 C.pén.). Des peines complémentaires sont également encourues, en particulier, s’agissant d’un homicide involontaire, l’interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise (article 221-8-1° du Code pénal) ainsi que l’affichage et la diffusion de la décision (article 221-10 du Code pénal).
 
Enfin, pour ce qui est des personnes morales, le taux maximum de l’amende applicable est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques et au décuple en cas de récidive (article 131-38 et 222-21 du Code pénal). Les personnes morales encourent également des peines complémentaires, notamment la fermeture définitive de l’établissement ou pour une durée de cinq ans au plus (article 131-39 du Code pénal).

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